Sortie littéraire : L’été Gigi ou l’expérience de l’intime universel

Une femme souriante tenant le livre "Céline Estelle, L’été Gigi".

Et si écrire, c’était soigner sans blouse blanche ? Dans L’été Gigi, Céline Estelle explore, entre fiction et réalité, les mouvements subtils de l’âme jeune. Écrivaine et thérapeute, elle pose ses mots comme on poserait ses mains sur une blessure ouverte, articulant le non-dit. Comment transformer une histoire intime en miroir pour le lecteur ? Comment confère-t-on une place à la guérison intérieure dans un roman d’été pas si bohème qu’il n’y paraît ? Interview.

Bonjour Céline. L’intime universel, ça te parle ? C’est le thème que j’ai envie d’aborder avec toi. Tout d’abord, y a-t-il un lectorat curieux des liens entre littérature et guérison ?

L’été Gigi est un roman bref, mais d’une densité émotionnelle assez particulière. Des retrouvailles avec un passé que j’ai fait resurgir en moi, afin d’en sonder la profondeur et d’en extraire l’essence. Il se construit autour d’un entrelacs de temporalités subjectives, où les seuils — celui de l’adolescence à l’âge adulte, de l’expérience naïve à la conscience intérieure — se confondent. L’ouvrage, sous ses airs romantiques du début, interroge les dynamiques de l’attachement et les rituels silencieux de passage qui façonnent l’identité. Gigi, figure centrale, incarne la clairvoyance spontanée. À la fois encore rivée aux rituels adolescents et déjà pénétrée d’intuitions adultes, elle évolue dans un entre-deux riche en potentialités. À ses côtés, Tristan — dont la douleur reste d’abord cryptée — et Emma — femme-mère aux cicatrices anciennes telle qu’on la découvre dans les premières pages — composent un trio dont la complexité affective se révèle au fil du récit. Leur point de bascule se cristallise autour d’un lieu : une demeure, qui jadis accueillait des colonies de vacances, aujourd’hui délabrée. Elle agit moins comme décor que révélateur psychique. Dans cette scène centrale, le roman opère son glissement vers l’intime universel — concept que l’on peut éclairer à travers les écrits de Freud. L’inconscient se manifeste précisément dans ce qui nous semble à la fois familier et dérangeant. Il disait également que “le moi n’est pas maître dans sa propre maison”, soulignant l’opacité constitutive de notre intériorité. Dans cette perspective, L’été Gigi explore un territoire où l’expérience individuelle, souvent tue ou refoulée, entre en résonance avec une mémoire presque collective. Le lieu abandonné devient une métaphore topographique de l’inconscient : il abrite, expose, transforme les personnages. On y trouve le beau, le laid et l’entre-deux, l’amour, le désamour, le dit et le non-dit, mais aussi, au final le banal, l’extraordinaire et la neutralité.

Quant au lectorat, il serait réducteur d’en proposer une typologie rigide. Un livre est un coup de cœur, un mot, une image, un titre avant tout. Pour moi la couverture agit comme un clin d’oeil. Puis les trois premières phrases sont cruciales. Je suis happée ou pas. Si je ne le suis pas, je repose le livre et je n’y pense plus. Si certains lecteurs sont venus par l’intermédiaire de ma chaîne YouTube, ou m’ont suivie depuis Voyage en Self-Love et Là où, là-haut, tu m’aimes !, il est notable que L’été Gigi attire un public sensible aux strates profondes de l’expérience humaine dans la jeunesse. Il y a aussi mon parcours, ma personnalité. De simple assistante dans la communication, j’ai monté mon entreprise toute jeune avant – grâce à une reprise d’études de Théologie – de me lancer dans le reportage religieux aux quatre coins du monde. Puis je suis retournée à l’école pour devenir thérapeute. Aujourd’hui je vis de mon cabinet et des formations que je dispense en lycées, universités, entreprises etc. tout en écrivant mes livres, exposant mes toiles et produisant mes musiques avec un statut de sociétaire SACEM. Et cet “alignement” suscite l’intrigue : certains me lisent par curiosité, d’autres portés par le désir discret — parfois inavoué — de découvrir, eux aussi, leur raison d’être. Ce n’est pas là un hasard mal avisé : lorsque le chemin d’un autre vous trouble ou vous appelle, c’est souvent qu’il réveille en vous une vérité encore enfouie : mission, grand rêve fondateur etc… L’été Gigi est peut-être moins un roman d’apprentissage qu’un roman de dévoilement. Il se lit comme un conte d’été rétro, avec des clins d’œil aux années 80 et 90.

On ressent que, pour toi, écrire c’est guérir ! L’écriture est donc un acte thérapeutique ? De quoi ou de qui cherches-tu à te guérir dans L’été Gigi ?

J’écris depuis l’enfance. Très tôt, la plume s’est imposée à moi non comme un outil d’expression, mais comme un véritable mode d’existence. Mon parcours s’est tissé à la croisée de plusieurs sphères — journalisme dans la presse chrétienne puis entrepreneuriale, accompagnement en soins palliatifs, pratiques de relaxation, coaching — autant de lieux d’écoute, d’intensité humaine, de présence à l’autre et à cette fragilité du monde qui est majeure où qu’on aille. Dans chacun de ces espaces, l’écriture m’a accompagnée comme un ange gardien. Elle est mémoire, lanterne, architecture du quotidien, latence et parfois refuge. Elle est aussi un geste d’amour : envers la vie, les absents, les autres possibles. Ma production est continue, organique. Toujours un manuscrit en cours, un autre en correction, un troisième en maturation. Cette pluralité d’écritures est née, en partie, d’un point de bascule personnel : la perte de plusieurs amis d’enfance. Ces événements ont réactivé le besoin urgent de transmettre, de sublimer le réel, d’écrire non plus seulement pour comprendre, mais pour relier encore. Si je connaissais mes amis d’enfance par cœur, je ne connais presque pas ma famille (mis à part mes parents, mon époux et mes enfants bien sûr). J’ai remplacé les liens du sang par ceux du cœur, là où la vie m’a menée comme à Malte, par exemple, où j’ai une famille spirituelle. A cinquante ans, je regarde les strates de mon histoire avec plus de clarté et avec l’œil de la thérapeute : je peux nommer ce qui m’a portée, constater que rien ne m’a jamais freinée. Je mets cela sur le compte de l’écriture, vive. L’écriture me permet de revisiter les expériences à la lumière de ce discernement. Mais plus encore, elle m’invite au voyage intérieur — un voyage non de fuite, mais d’exploration. Si je devais nommer une seule quête de guérison, elle ne serait ni psychologique, ni spirituelle au sens classique du terme. Elle serait éthique : me défaire, jour après jour, de l’intériorisation des normes d’une société que je perçois comme profondément malade et désorientée. Je trouve qu’il n’est pas sain d’être en phase avec une société profondément malade… Ce détachement, je le vis tel un acte de bonne santé, une reconquête du sens. Il ne s’agit pas de fuir, mais de désadhérer à tout ce qui alourdit l’âme. Seuls les liens authentiques résistent à la disparition. C’est un des thèmes de L’été Gigi.

Dans ton livre, l’été c’est l’opportunité de changer ? Le temps de la bascule ?

La saison estivale, dans L’été Gigi, fonctionne comme une métaphore centrale : celle d’un état de suspension, où le temps semble se dilater, et où les personnages expérimentent des seuils intérieurs. Ce roman peut, à première lecture, s’appréhender comme un récit d’été teinté de nostalgie, une immersion dans les années 1980 et 1990, traversée de souvenirs doux-amers, d’amitiés adolescentes et de silences éloquents. Sous cette légèreté apparente, affleure une réflexion plus profonde sur les multiples deuils de l’existence : ceux de l’innocence, des idéaux, du sentiment d’éternité — de ces liens qu’on pensait inaltérables…

A la lecture on remarque plusieurs scènes témoignant de l’impossibilité, pour certains, de lâcher-prise entre attachement et transformation. C’est juste ?

Deux passages cristallisent cette tension entre attachement et transformation. La première, très brève, est celle de la voiture engloutie sous la neige, cette image qui poursuit Emma lorsque rien ne va plus. La seconde, celle des rues désertes du village où déambule la mère de Tristan. Elles dessinent en creux la trajectoire d’Emma, donc — personnage discret, mais dont la persistance à rester sur place, sur les lieux même de cet été magique est une forme d’ancrage psychique. Emma incarne cette difficulté que beaucoup rencontrent : incapacité de lâcher prise, s’accrocher jusqu’à ne plus pouvoir ! S’accrocher jusqu’à ce que la perte menace votre propre vie. Elle attend de donner le « coup de talon au fond de la piscine » pour remonter à la surface et respirer de nouveau. Dans tous les deuils, nous avons besoin d’un point de non-retour pour avancer. C’est aussi là le travail d’Emma, personnage secondaire devenu, malgré lui, sur la fin, central. On ne tourne pas une page par injonction ! Il faut qu’un élément concret vienne détourner doucement l’attention de la douleur pour qu’un autre récit intérieur puisse émerger et s’écrire. C’est aussi ce que vit Emma, d’une certaine manière, dans le roman.

L’été est la saison des possibles ?

L’été, dans ce contexte, est la saison des possibles : les vocations s’ébauchent, les liens se révèlent ou se distendent, les sentiments prennent forme, les jeux de pouvoir se manifestent dans leur ambiguïté. Mais c’est en hiver que se produisent les véritables basculements. D’un hiver à l’autre, plusieurs scènes fonctionnent comme des seuils de vérité : moments où les personnages sont confrontés à leur solitude, à leurs illusions, à ce qu’ils doivent laisser mourir pour mieux renaître. L’été est donc l’initiation ; l’hiver, la transmutation. 

Quelles sont deux phrases dont tu te souviens souvenez, que tu peux citer de mémoire ?

C’est une question aussi simple qu’étrange… alors ma réponse le sera aussi, sans doute un peu décalée (sourire). Bien sûr, en tant qu’autrice, je trouve toujours les descriptions de la vie intérieure des personnages les plus exigeantes à écrire — ce sont elles qui, selon moi, révèlent vraiment la qualité d’une plume. Mais curieusement, ce sont souvent les phrases les plus brèves, presque suspendues, qui me restent, longtemps après un écrit, en mémoire comme :

« Pourtant Tristan n’était pas demeuré mais plutôt habité par d’innombrables dons et une compréhension subtile de l’eau sombre et de la rivière ».

« Sensuelle et avide, Gigi convoitait tout ce qui pouvait satisfaire sa soif de plénitude ».

Merci Céline, nous attendons des nouvelles de ta prochaine parution !

Merci à toi ! On se retrouve prochainement, alors !

L’été Gigi est disponible sur  le site de l’éditeur

Visitez le site de Céline Estelle, romancière 

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